Faut-il se méfier de La Cuisinière ?

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Surtout, ne vous fiez pas à son titre : « La Cuisinière », de Mary Beth Keane, a de quoi faire tache dans une bibliothèque culinaire. Basé sur un fait divers qui a défrayé la chronique aux Etats-Unis au début du XXème siècle, ce roman associe la cuisine à la maladie et à la mort…

En voilà une lecture culinaire peu ordinaire ! A tel point que je me suis longtemps interrogée sur sa pertinence à figurer sur ce blog. « La Cuisinière », qui raconte l’histoire de Mary Mallon, dite « Mary Typhoïde », ne devrait-il pas plutôt être classé dans la catégorie « Romans historiques » ou « Faits-divers médicaux » ?

Mais, cette femme, identifiée comme première porteuse saine de la fièvre typhoïde aux Etats-Unis en 1907, est ici dépeinte comme une cuisinière hors-pair, passionnée par son art, qui régala des familles entières et fit la fierté de nombre de maîtresses de maison… Certes, les descriptions de ses plats sont relativement peu nombreuses. Elles n’en sont pas moins révélatrices du talent de Mary, et du plaisir qu’elle prend à cuisiner. Pour cette raison, ce livre mérite à mes yeux son titre de roman culinaire ! Je peux donc vous le présenter ici sans rougir. 

Une cuisine criminelle

Tout comme Mary Mallon, le lecteur gourmand attendra avec impatience ces instants culinaires, et les savourera avec d’autant plus d’intensité qu’ils sont rares. Dans le même temps, le doute ne le quittera pas : et si tous ces gâteaux, ces soupes, ces ragoûts aux délicats fumets étaient infectés ? Et l’on voit Mary lécher une cuillère et tremper un doigt dans une sauce. « N’avez-vous pas remarqué que la maladie et la mort vous suivent partout où vous allez », lui demandera le Dr Soper, en charge de l’enquête, quelques temps avant son arrestation. Mary n’y croit pas ; mais déjà, notre gourmandise a laissé place à la méfiance, et au dégoût…

Une justice à deux vitesses

Un dégoût  qu’il convient de dépasser, pour apprécier les vraies saveurs de ce roman culinaire. Vous commencez à me connaître : dans les lectures que je partage ici, des plus légères aux plus complexes, la nourriture est souvent prétexte à aborder des thèmes forts. Et, avec « La Cuisinière », nous sommes servis !

D’abord, l’on s’interroge sur la justice américaine du début du XXème siècle, et le principe de précaution observé à l’époque. Dans la mesure où Mary ne se savait pas malade, était-elle une criminelle, et devait-elle être traitée comme telle ? Fallait-il l’isoler sur une île au large de Manhattan, quand d’autres porteurs sains identifiés pendant sa quarantaine ont pu, eux, poursuivre une vie normale ?

La femme la plus dangereuse d’Amérique

Mais, plus encore, l’on est intrigué par la personnalité de Mary Mallon. L’auteur la décortique avec soin, et force flashs back (un peu trop à mon goût, d’ailleurs…). Son enfance en Irlande assombrie par la mort de ses neveux, sa traversée de l’Atlantique pendant laquelle elle voit mourir et jeter à la mer nombre de passagers, sa découverte du New York sale et miséreux, et sa détermination à s’en sortir en gagnant sa vie sans dépendre de personne.

Au bilan, celle que l’on surnommait « la femme la plus dangereuse d’Amérique », aurait contaminé sans en avoir eu l’intention 51 personnes ; trois d’entre-elles sont mortes de la fièvre typhoïde. D’aucun diront qu’elle a agi par esprit criminel lorsqu’après sa libération en 1910, elle a continué d’exercer en toute illégalité sa profession de cuisinière. Je me plais cependant à préférer la thèse de Mary Beth Keane : sous sa plume, Mary Mallon apparaît comme une femme déterminée à exercer la profession qui lui permet de se réaliser et d’être libre. En définitive, elle qui aura passé près de la moitié de sa vie en quarantaine, semble avoir vécu l’esprit plus libre que nombre de femmes de son époque… et de la nôtre. 

Extrait : « L’intrusion de Soper dans la cuisine des Bowen était un premier avertissement, mais il était codé et Mary n’avait pas su le déchiffrer. Lorsqu’elle fut certaine que le docteur était parti pour de bon et que les canards étaient rôtis et découpés, elle décida qu’il s’agissait d’un malentendu et s’en voulut de ne pas lui en avoir dit plus. Pourquoi ne pas avoir mentionné qu’elle n’avait jamais eu de fièvre et que c’était elle qui avait soigné les Warren, et ce, avec succès ? Pourquoi ne pas lui avoir conseillé de vérifier ses affirmations ? Le médecin d’Oyster Bay n’avait-il pas conclu que c’était des crabes à carapace molle qui leur avaient transmis la fièvre ? »

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